HEIP Rennes célèbre ses 125 ans : Une journée d’études sur l’Affaire Dreyfus et sa postérité

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HEIP Rennes célèbre ses 125 ans : Une journée d’études sur l’Affaire Dreyfus et sa postérité

Plus d’un siècle après sa création, HEIP à Rennes revient aux sources de son engagement académique et citoyen en interrogeant l’Affaire Dreyfus. Un regard rétrospectif et prospectif sur un combat pour la justice et l’État de droit qui résonne encore aujourd’hui.


Lorsque l’on évoque l’Affaire Dreyfus, on pense immédiatement à un déni de justice, à une véritable fracture de l’opinion française mais aussi à un remarquable sursaut politique. On oublie toutefois souvent que ce scandale est également à l’origine de la création de l’École des hautes études sociales, aujourd’hui Hautes études internationales et politiques (HEIP). Fondée en 1899, à la suite du procès en révision qui s’est tenu à Rennes, l’École portait déjà en elle les valeurs du savoir, du dialogue et de l’engagement intellectuel.


Pour marquer ses 125 ans d’existence, HEIP a organisé, en partenariat avec la Revue politique et parlementaire, une journée d’études intitulée L’Affaire Dreyfus 125 ans après : quelle postérité, quel sens ? Cette manifestation, qui s’est tenue le 19 décembre 2024 sur le campus Omnes Education de Rennes, a notamment réuni des historiens, des juristes et des politistes pour analyser les résonances contemporaines de cet événement ainsi que les leçons qu’il continue d’inspirer.

Des invités de prestige pour une réflexion approfondie

La journée d’études a également vu la participation de responsables politiques de premier plan. Les débats ont ainsi été placés sous le haut-patronage de Pierre Méhaignerie, ancien Garde des Sceaux (1993-1995) et ancien maire de Vitré (Ille-et-Vilaine). Celui qui fut également député pendant 30 ans a témoigné de la place assez paradoxale que tient l’Affaire Dreyfus dans sa mémoire historique. En effet, si l’événement est chez lui la source d’un souvenir diffus, presqu’évanescent, les leçons qu’il en a tirées ont guidé par bien des égards son engagement public : le souci de la justice, du respect de l’autre et, en définitive, de l’État de droit.

Cette permanence des leçons de l’Affaire a également été soulignée par Françoise Gatel, Ministre déléguée chargée de la Ruralité, du Commerce et de l’Artisanat. S’adressant plus directement aux étudiants d’HEIP-Rennes, elle les a invités à s’engager au service de la collectivité, à prendre leur part dans la vie publique. Nombreux ont été les étudiants impressionnés par ces échanges. Il est vrai qu’une conversation avec un membre du Gouvernement est nécessairement un moment solennel, ce d’autant plus que les organisateurs avaient tenu à garder jusqu’au dernier moment la venue de la ministre secrète. C’est ce que rappelle Anna, étudiante en B2 : « Discuter de politique entre camarades est une chose, mais échanger directement avec des ministres en est une autre ! » Quant à Côme, il mesure toute l’importance de cette rencontre : « ce moment fort m’a conforté dans mon envie de contribuer, à mon échelle, aux débats et aux actions qui façonnent notre société ». Et cet étudiant de B2 d’ajouter qu’à ses yeux « HEIP continue d’être un lieu où l’on cultive ces ambitions, où l’histoire et l’avenir se croisent pour former les citoyens engagés de demain ».

Les perspectives juridiques

Sur un plan plus strictement académique, cette journée d’études a débuté par une table ronde consacrée aux conséquences juridiques et politiques de l’Affaire Dreyfus. Laurent Malka, juriste et enseignant à HEIP-Rennes, a expliqué comment l’Affaire contribue à redéfinir les garanties d’une justice équitable. De son côté, Gaëlle Rondeau, juriste et enseignante à HEIP-Rennes, a fait dialoguer l’Affaire Dreyfus et le #Metoo des Armées : une manière d’interroger le respect de la règle de droit au sein de l’institution militaire à 125 ans d’écart. Enfin, Jane Wilson, professeur d’anglais à HEIP-Rennes, s’est livré à une analyse shakespearienne de l’Affaire en interrogeant sa réception outre-Manche d’un point de vue juridique.

L’Affaire Dreyfus et la mémoire collective

Ces approches ont singulièrement contrasté avec les analyses des historiens. Si le politiste Jean Roger, professeur à HEIP-Rennes, a analysé les occurrences de l’Affaire dans les discours de l’exécutif en France depuis 1981, Erwan Le Gall s’est montré beaucoup plus réservé quant à la postérité de l’événement. Revenant sur une séance, le 6 juin 1917, du Sénat réuni en Comité secret, il rappelle que Paul d’Estournelles de Constant – prix Nobel de la Paix 1909 et ancien enseignant à HEIP – assimile la conduite de la guerre à une « Affaire Dreyfus mondiale ». Mais cette communication a aussi montré que cette dénonciation tonitruante n’avait eu aucun écho, comme si l’aura de l’événement avait été balayé par les centaines de milliers de morts accumulés dans les tranchées. C’est d’ailleurs un constat assez similaire que dresse Adrien Champroux, enseignant à HEIP-Rennes, lorsqu’il étudie la postérité de l’Affaire Dreyfus au sein de l’idéologie FN/RN. Si ce parti essaye dès sa fondation de préempter une certaine mémoire de la Résistance, si la formation aujourd’hui dirigée par Marine Le Pen entend aujourd’hui se présenter en défenseur d’Israël et en rempart face à l’antisémitisme, force est de constater que jamais l’Affaire Dreyfus n’est mobilisée dans le cadre de cette manœuvre de « dédiabolisation ».

En définitive, cette crise politique et judiciaire majeure apparaît au cœur d’un étrange paradoxe. Alors que son souvenir tend à s’estomper de plus en plus, les leçons à tirer de cet événement conservent toute leur actualité. D’où l’importance du travail mené par les équipes du Musée de Bretagne, présenté par les conservatrices Céline Chanas et Laurence Prod’homme. Car derrière les enjeux muséographiques, c’est d’une véritable politique publique dont il s’agit ici puisque cet équipement est opéré par Rennes métropole. En d’autres termes, comment est-ce que ce Musée s’impose à la collectivité territoriale comme l’outil idoine pour éduquer le plus grand nombre à la Justice, à la liberté de la presse ainsi qu’à l’État de droit, soit autant des grandes leçons que continue à nous enseigner au quotidien l’Affaire ?

En choisissant de revenir, à l’occasion des 125 ans d’HEIP, sur l’Affaire Dreyfus, l’équipe de Rennes à fait le pari d’ancrer une réflexion académique en prise avec les affaires publiques dans une double approche. Celle d’abord d’une inscription territoriale puisque le campus Omnes Education de Rennes est situé à quelques centaines de mètres seulement des lieux où se tient, en 1899, le procès en révision du capitaine Dreyfus. Mais en se situant aussi dans une perspective beaucoup plus large, et même transnationale, les organisateurs ont également souhaité interroger notre rapport à la justice, à la vérité et à l’engagement citoyen. Plus que jamais, l’Affaire résonne comme un appel à la vigilance et à la transmission du savoir. Les actes de cette journée d’études seront prochainement publiés au sein de la Revue politique et parlementaire.

Mis à jour le 5 février 2025